Crédit : courtesy of Massachusetts General Hospital and Draper Labs

Journalisme et mémoire numérique

Pas de tuto Excel cette fois mais un article plus simple – au risque d’enfoncer des portes ouvertes – sur la mémoire du web avec un exemple d’application.

Ces derniers mois, le sénateur et député bruxellois MR Alain Destexhe a, plus qu’il ne voudrait, noirci les pages des journaux : membre jusqu’il y a peu de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,   il a également géré l’ABL European Academy for Elections Observation, qui a à quelques reprises dépêché des observateurs lors d’élections en Azerbaïdjan. Le problème étant que, selon les quotidiens belges l’Echo et De Tijd, cette ASBL aurait été financée par le l’argent azéri.  Pour un résumé de ce dossier, voir ici. Et pour l’article publié dans Le Soir en recourant aux quelques techniques décrites ci-dessous, voir ici.

 Crédit Thienpont/Le Soir

Le site internet de l’ASBL ayant été désactivé à une date indéterminée, comment en savoir davantage sur celle-ci? Sur ses activités passées, ses appréciations du processus électoral en Azerbaïdjan, éventuellement le rôle précis du député et sénateur au sein de l’association?

Une première recherche Google (site:eaeo.eu) renvoie vers une série de pages mises en cache, autrement dit des pages collectées et mises en archives par le moteur de recherches :

Les pages mises en cache sont accessibles à partir de la petite flèche qui jouxte dans certains cas le résultat de la recherche :

On obtient ainsi, par exemple, le guide mis par l’association à la disposition de ses observateurs en prévision des présidentielles de 2013.

Un des soucis est que ces pages archivées sont provisoires, elles ne constituent qu’une copie des pages telles que Google les a indexées la dernière fois qu’il a visité le site. Par conséquent, elles disparaîtront au prochain passage du moteur de recherche sur ce même site.  Plusieurs copies cachées lues lors de la rédaction de mon article au mois de septembre ont aujourd’hui (octobre 2017) disparu.  Un premier conseil est donc de faire une copie d’écran de ces pages, comme celle-ci (aujourd’hui évanouie dans les limbes d’internet) montrant qu’en juillet 2017, l’adresse d’Alain Destexhe figurait encore au bas de la page contact de l’ASBL.
Un autre recommandation est de compléter cette visite des pages cachées de Google par une de la Wayback Machine, une initiative à but non lucrative née en 1996 pour archiver internet. Pas moins. Soit aujourd’hui un stock de 279 milliards de pages web, 4 millions d’enregistrements audio, 2 millions de vidéos, etc.

 

Parmi ces fragments de mémoire numérique, quelques-uns issus de feu le site web de l’European Academy for Elections Observations. Dont un résumé du rapport émis par l’AISBL sur les élections présidentielles d’octobre 2013 en Azerbaïdjan. La mission de l’EAO, lit-on, regroupait 135 parlementaires et experts de 24 pays européens et du Canada. Observateurs dont l’expérience ne peut vraisemblablement être remise en cause puisque -même si leur identité n’est pas dévoilée – ils auraient déjà rempli de semblables missions pour le compte du Parlement européen, du Conseil de l’Europe, de l’OTAN… Pas de quoi donc douter de leurs conclusions : « le scrutin réunissait 10 candidats à la présidentielle, plus que tout autre précédente élection, ce qui reflète la pluralité du processus » ; « l’élection s’est déroulée dans une atmosphère calme et positive » ; « aucune pression de la part des autorités locales n’a pu être observée » ; « les élections du 9 octobre sont un nouveau progrès vers la consolidation d’un système électoral démocratique et rencontrent les standards internationaux en Azerbaïdjan, qui est une démocratie relativement jeune »… Un constat partagé par le président Ilhahm Aliev, réélu avec 84,55% des voix et pour qui « L’élection présidentielle en Azerbaïdjan a été un triomphe de la démocratie ». Mais pas par Amnesty qui, la veille du scrutin, a dénoncé « le harcèlement, les manœuvres d’intimidation, les arrestations arbitraires, les inculpations forgées de toutes pièces » dont ont été victimes les opposants au président sortant Ilhahm Aliev. Ni par le Centre pour l’étude de la démocratie et la surveillance des élections (EMDS) qui a regretté que « aucun progrès des libertés d’association, d’expression et des médias n’ait été enregistré pendant les élections » et que « au contraire, les arrestations pour motif politique et les persécutions se sont accélérées depuis le début de l’année 2013. »

Bien que capable, affirme-t-elle, de dépêcher une centaine d’experts de haut niveau sur le terrain azéri un jour d’élections, l’EAEO ne comptait – comme en témoigne encore la Wayback Machine, que peu d’associations partenaires : Eurasie Nouveau Horizons, VRB ( Vereniging voor de Bescherming van de Rechtsstaat – Association pour la protection de l’Etat de droit) et Valores Democraticos. Le premier de ces partenaires est un observatoire cofondé en 2008 par Thierry Mariani (député français UMP puis Les Républicains), dont il se désengagea en 2012 lors de son entrée dans le gouvernement de Sarkozy. Proche des pays du Caucase, il s’est rendu à plusieurs reprises en Azerbaïdjan et au micro d’une télévision locale, s’est notamment réjoui des élections parlementaires de novembre 2015 : « Le processus électoral dans les bureaux de vote a été parfait, je veux dire strictement il n’y avait rien à dire. » Cinq ans plus tôt, il avait co-organisé à Bakou une conférence internationale sur le thème « Les élections parlementaires en Azerbaïdjan : plus démocratiques, plus transparentes ».
Le partenaire espagnol, « Valores Democraticos », n’a pu être identifié avec certitude. Quant à l’association VRB, elle a été créée le 15 juillet 2010, soit le même jour que l’European Academy for Elections Observations (EAEO) par les mêmes Alain Destexhe et Stef Goris.